Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/322

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Quoique en me retirant d’auprès de Leurs Majestés Catholiques, la reine m’eût encore répété de ne me point arrêter aux usages pour les voir à toute heure quand je voudrois, et de ne pas craindre d’en abuser, et que le ton et l’air du discours fût tout à fait naturel et avec beaucoup de grâces, je crus devoir en faire la confidence à Grimaldo et le consulter là-dessus. Je craignis que ce couvi redoublé de chose qui sans exception n’étoit accordée à personne ne fût qu’un excès, si j’ose user du terme, de politesse, où la joie et le désir de la marquer les jetoit, dont l’usage, quelque discret qu’il fût, pourroit les importuner. J’eus peur aussi qu’en usant sans l’attache pour ainsi dire de Grimaldo, il n’en conçut de la jalousie et de la froideur à mon égard, lui sans qui je ne pouvois rien faire, quelque privance dont je jouisse, et je compris qu’abandonnant là-dessus ma conduite à son jugement, je le gagnerois véritablement, et que je ne pourrois mal faire.

Je descendis donc dans sa cavachuela au sortir de l’audience. Je lui racontai tout ce qui s’étoit passé et lui dis que, pour l’usage ou non-usage de cette liberté de voir à toute heure et sans audience Leurs Majestés Catholiques quand je voudrois, je venois franchement à son conseil, résolu de me conduire en cela uniquement par ce qu’il jugeroit à propos que je fisse, ce que j’assaisonnai de tout ce que je crus le plus propre à le flatter et à l’ouvrir sincèrement. Après les préambules de remercîments et de compliments sur ma confiance, il me dit que, puisque je voulois qu’il me parlât franchement, il me conseilloit de regarder l’invitation de la reine comme une politesse, une honnêteté singulière qu’elle avoit voulu me faire, mais dont le roi et elle ne seroient pas fort aises que j’en usasse, et qu’ils s’en trouveroient bientôt importunés ; que, de plus, je n’avancerois rien dans ces particuliers, si j’y voulois mêler des affaires sur lesquelles ils ne me répondroient point sans s’en être consultés, et que cela les embarrasseroit davantage ; enfin qu’ils me verroient sûrement