Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/330

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au prince auprès duquel il est ou à son ministre me parut la chose du monde la plus dangereuse et un sacrilège d’État ; je sus depuis que Maulevrier étoit dans cette habitude. La dépêche portoit que l’empereur avoit fait ces grands d’Espagne par le conseil de Rialp. À ce nom le roi me regarda d’un air piqué et me dit : « C’est un Catalan. » Je répondis en souriant un peu, et le regardant fixement : « Sire, il n’y a rien de plus mauvais que les transfuges, ils sont pires que tous les autres. » À cette réponse la reine se mit à rire en me regardant, et je connus très bien qu’elle avoit bien senti qu’elle portoit à plomb sur les François de l’affaire de Bretagne et de Cellamare réfugiés en Espagne, qui étoit aussi ce que j’avois voulu leur faire entendre. La fin de la dépêche, qui contenoit la déclaration de l’empereur dont j’ai parlé plus haut d’avance, satisfit en effet beaucoup le roi d’Espagne, qui étoit infiniment sensible là-dessus.

Enfin Leurs Majestés Catholiques nous congédièrent, après nous avoir témoigné que nous leur avions fait grand plaisir de n’avoir pas perdu un moment à leur apprendre le départ de Mlle de Montpensier, surtout de ne nous être pas arrêtés par l’heure et parce qu’elles étoient au lit.

Nous descendîmes aussitôt après à la cavachuela du marquis de Grimaldo, à qui nous dîmes la nouvelle et ce que nous venions de faire ; je n’oubliai pas d’ajouter que ç’avoit été sur l’avis de Maulevrier. Il nous parut qu’il le trouva fort bon. Nous l’informâmes de tout ce qui s’étoit passé à Paris, comme nous avions fait le roi et la reine, et, comme à eux, Maulevrier lui lut sa dépêche sur les grands d’Espagne de l’empereur. Les questions, les raisonnements, la conversation, où ce qui regardoit l’échange et les accompagnements ne fut pas oublié, durèrent près de deux heures.

Nous vînmes dîner chez moi et retournâmes au palais pour voir partir le roi et la reine d’Espagne. J’en reçus là encore mille marques de bonté. Tous deux, surtout la reine insista à deux ou trois reprises à ce que je [ne] différasse