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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/44

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à deux ou trois diverses reprises, et trouva bon que le duc de Bouillon lui prêtât sa maison de Pontoise toute meublée, dont le jardin est admirable et immense au bord de la rivière, chef-d’œuvre en son genre, qui avoit fait les délices du cardinal de Bouillon, et qui fut peut-être la seule chose qu’il regretta en France. Avec de si beaux secours, le premier président, mal avec sa compagnie qui le méprisoit ouvertement depuis quelque temps, se raccommoda parfaitement avec elle. Il y tint tous les jours table ouverte pour tout le parlement qu’il mit sur le pied d’y venir tous les jours en foule, en sorte qu’il y eut toujours plusieurs tables servies également délicatement et splendidement, et envoyoit, à ceux qui vouloient envoyer chercher chez lui, tout ce qu’ils pouvoient désirer de vin, de liqueurs et de toutes choses. Les rafraîchissements et les fruits de toutes sortes étoient servis abondamment tant que les après-dînées duroient, et il y avoit force petits chariots à un et à deux chevaux toujours prêts pour les dames et les vieillards qui vouloient se promener, et force tables de jeu dans les appartements jusqu’au souper. Mesmes, sa, sœur et ses filles faisoient les honneurs, et lui, avec cet air d’aisance, de magnificence, de politesse, de prévenance et d’attention, en homme qui saisissoit l’occasion de regagner ainsi ce qu’il avoit perdu, en quoi il réussit pleinement ; mais ce fut aux doubles dépens du régent, de l’argent duquel il fournissoit à cette prodigieuse dépense, et se moquoit encore de lui avec messieurs du parlement, tant en brocards couverts ou à l’oreille, qu’en trahissant une confiance si chèrement et si indiscrètement achetée, dont il leur faisoit sa cour, tant en la leur sacrifiant en dérision qu’en s’amalgamant à eux, à tenir ferme, et faisant tomber le régent dans tous leurs panneaux par la perfidie du premier président, à qui M. le duc d’Orléans croyoit finement se pouvoir fier à force d’argent, et de cacher cette intelligence dont le secret servoit à ce scélérat de couverture aux insolentes plaisanteries qu’il