Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/467

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comte de Priego, qui étoit ami intime du duc de Bejar, avec lesquels j’ai eu en tiers, plusieurs bonnes et sages conversations et quelquefois assez instructives. Le comte de Priego étoit un petit homme noir, rougeaud, ventru, des yeux pétillants d’esprit et de feu, et qui ne trompoient pas ; aussi avant dans le grand monde qu’un seigneur espagnol y pouvoit être, et qui se fit faire grand d’Espagne fort plaisamment.

Il avisa que la princesse des Ursins avoit fait venir d’Italie à Madrid le fils de sa défunte sœur de Lanti, qu’elle avoit fort aimée, qu’il étoit pauvre et qu’elle cherchoit à le marier richement ; lui fit accroire que sa fille unique seroit un fort grand parti. Il sut si bien conduire que tous les examens qu’elle en fit faire l’en persuadèrent si bien qu’elle pensa tout de bon au mariage, et le lui fit proposer. Priego, en habile homme, se fit prier et si bien qu’il déclara qu’il vouloit une condition sans laquelle il ne le feroit point et avec laquelle il concluroit de tout son cœur ; que cette condition étoit au pouvoir de la princesse des Ursins et à l’avantage de son neveu ; qu’en un mot il vouloit être grand d’Espagne. Mme des Ursins, surprise de la sécheresse avec laquelle cette proposition se faisoit, fit la froide, se montra étonnée que quelqu’un prétendit lui faire la loi. Priego n’en fut pas la dupe et laissa tomber la chose. Mme des Ursins le voyant si résolu ne voulut pourtant pas manquer une si bonne affaire, lui fit reparler et proposer de faire donner la grandesse à son neveu en épousant sa fille. Priego répondit qu’on se moquoit de lui, qu’il savoit bien que Mme des Ursins ne manqueroit pas tôt ou tard de procurer la grandesse à son neveu ; que peu lui importoit à lui qui, avec ses grands biens, ne seroit pas embarrassé de trouver un grand d’Espagne ou un fils aîné de grand pour sa fille, mais que, la voulant bien donner à un homme aussi peu riche qu’étoit Lanti, parce qu’il étoit neveu de la princesse des Ursins qui le désiroit, et par respect et par attachement pour elle,