Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/57

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se maria à Dacier, garde des livres du cabinet du roi, qui étoit de toutes les académies, savant en grec et en latin, auteur et traducteur. Sa femme passoit pour en savoir plus que lui en ces deux langues, en antiquités, en critique, et a laissé quantité d’ouvrages fort estimés. Elle n’étoit savante que dans son cabinet ou avec des savants, partout ailleurs simple, unie, avec de l’esprit, agréable dans la conversation, où on ne se seroit pas douté qu’elle sût rien de plus que les femmes les plus ordinaires. Elle mourut dans de grands sentiments de piété, à soixante-huit ans ; son mari, deux ans après elle, à soixante-onze ans.

Philippe de Courcillon, dit le marquis de Dangeau, mourut à Paris à quatre-vingt-quatre ans, le 7 septembre, ce fut une espèce de personnage en détrempe, sur lequel, à l’occasion de ses singuliers Mémoires [1], la curiosité engage à s’étendre un peu ici. Sa noblesse étoit fort courte, du pays Chartrain, et sa famille étoit huguenote. Il se fit catholique de bonne heure, et s’occupa fort de percer et de faire fortune. Entre tant de profondes plaies que le ministère du cardinal Mazarin a faites et laissées à la France, le gros jeu et ses friponneries en fut une à laquelle il accoutuma bientôt tout le monde, grands et petits. Ce fut une des sources où il puisa largement, et un des meilleurs moyens de ruiner les seigneurs qu’il haïssait et qu’il méprisoit, ainsi que toute la nation française, et dont il vouloit abattre tout ce qui étoit grand par soi-même, ainsi que sur ses documents on y a sans cesse travaillé depuis sa mort jusqu’au parfoit succès que l’on voit aujourd’hui, et qui présage si sûrement la fin et la dissolution prochaine de cette monarchie. Le jeu étoit

  1. Le Journal de Dangeau n’avait été publié jusqu’ici que par fragments. MM. Soulié, Dussieux, de Chennevières, Mantz et de Montaiglon, en ont entrepris, en 1854, une édition complète qu’ils continuent avec la plus louable persévérance. M. Feuillet de Conches y a joint les notes de Saint-Simon, que l’on peut considérer comme une première ébauche de ses Mémoires.