Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/89

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Sa banque, comme je l’ai dit ailleurs, étoit une chose excellente, dans une république ou dans un pays comme l’Angleterre, où la finance est en république. Son Mississipi, il en fut la dupe, et crut de bonne foi faire de grands et riches établissements en Amérique. Il raisonnoit comme un Anglois, et ignoroit combien est contraire au commerce et à ces sortes d’établissements la légèreté de la nation, son inexpérience, l’avidité de s’enrichir tout d’un coup, les inconvénients d’un gouvernement despotique, qui met la main sur tout, qui n’a que peu ou point de suite, et où ce que fait un ministre est toujours détruit et changé par son successeur. Sa proscription d’espèces, puis de pierreries, pour n’avoir que du papier en France, est un système que je n’ai jamais compris ni personne, je pense, dans tous les siècles qui se sont écoulés depuis celui d’Abraham, qui acheta un sépulcre en argent pour Sara quand il la perdit, pour lui et pour ses enfants. Mais Law étoit un homme à système, et si profond, qu’on n’y entendoit rien, quoique naturellement clair et d’une élocution facile, quoiqu’il y eût beaucoup d’Anglois dans son françois. Il vécut plusieurs années à Venise avec fort peu de bien, et y mourut catholique, ayant vécu honnêtement, quoique fort médiocrement, sagement et modestement, et reçut avec piété les sacrements de l’Église. Ainsi se termina l’année 1720.




CHAPITRE V.


Année 1721. — Chaos des finances. — Retraite de Pelletier de Sousy. — Conseil de régence curieux sur les finances et la sortie de Law du royaume. — Réflexions sur ce conseil de régence. — Prince de Conti débanque Law. — Continuation de ce conseil de régence, orageux