Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 20.djvu/17

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sur lesquels il régloit toutes ses démarches, et à tenir le monde, sans exception, de si court, que tout ne fût que dans sa main, affaires, grâces, jusqu’aux plus petites bagatelles, et à faire échouer tout ce qui osoit essayer de lui passer entre les doigts, et de ne le pas pardonner aux essayeurs, qu’il poursuivoit partout d’une façon implacable. Cette application et quelque écorce indispensable d’ordres à donner, ravissoient tout son temps, en sorte qu’il étoit devenu inabordable, hors quelques audiences publiques ou quelques autres aux ministres étrangers. Encore la plupart d’eux ne le pouvoient joindre, et se trouvoient réduits à l’attendre aux passages sur des escaliers, et en d’autres endroits par lesquels il déroboit son passage, où il ne s’attendoit pas à les rencontrer. Il jeta une fois dans le feu une quantité prodigieuse de paquets de lettres toutes fermées, et de toutes parts, puis s’écria d’aise qu’il se trouvoit alors à son courant. À sa mort il s’en trouva par milliers, tout cachetées.

Ainsi tout demeuroit en arrière, en tout genre, sans que personne, même des ministres étrangers, osât s’en plaindre à M. le duc d’Orléans, et sans que ce prince, tout livré à ses plaisirs, et toujours sur le chemin de Versailles à Paris, prit la peine d’y penser, bien satisfoit de se trouver dans cette liberté, et ayant toujours suffisamment de bagatelles dans son portefeuille pour remplir son travail avec le roi, qui n’étoit que de bons à lui faire mettre aux dépenses arrêtées, ou aux demandes des emplois ou des bénéfices vacants. Ainsi aucune affaire n’étoit presque décidée, et tout demeuroit et tomboit en chaos. Pour gouverner de la sorte il n’est pas besoin de capacité. Deux mots à chaque ministre chargé d’un département, et quelque légère attention à garnir les conseils devant le roi des dépêches les moins importantes, brochant les autres seul avec M. le duc d’Orléans, puis les laissant presque toutes en arrière, faisoient tout le travail du premier ministère, et l’espionnage, les avis de l’intérieur