Aller au contenu

Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 20.djvu/49

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

duquel étoit une porte de derrière des cabinets du roi et vis-à-vis, sur le même palier, un privé. Lauzun prévient l’heure et s’embusque dans le privé, le ferme en dedans d’un crochet, voit par le trou de la serrure le roi qui ouvre sa porte et met la clef en dehors et la referme. Lauzun attend un peu, écoute à la porte, la ferme à double tour avec la clef, la tire et la jette dans le privé, où il s’enferme de nouveau. Quelque temps après arrive Bontems et la dame, qui sont bien étonnés de ne point trouver la clef à la porte du cabinet. Bontems frappe doucement plusieurs fois inutilement, enfin si fort que le roi arrive. Bontems lui dit qu’elle est là et d’ouvrir, parce que la clef n’y est pas. Le roi répond qu’il l’y a mise ; Bontems la cherche à terre pendant que le roi veut ouvrir avec le pêne, et il trouve la porte fermée à double tour. Les voilà tous trois bien étonnés et bien empêchés ; la conversation se fait à travers la porte comment ce contre-temps peut être arrivé ; le roi s’épuise à vouloir forcer le pêne, et ouvrir malgré le double tour. À la fin il fallut se donner le bonsoir à travers la porte, et Lauzun, qui les entendoit, à n’en pas perdre un mot, et qui les voyoit de son privé par le trou de la serrure, bien enfermé au crochet comme quelqu’un qui seroit sur le privé, riait bas de tout son cœur, et se moquoit d’eux avec délices.

En 1670, le roi voulut faire un voyage triomphant avec les dames, sous prétexte d’aller visiter ses places de Flandre, accompagné d’un corps d’armée et de toutes les troupes de sa maison, tellement que l’alarme en fut grande dans les Pays-Bas, que le roi prit soin de rassurer. Il donna le commandement du total au comte de Lauzun, avec la patente de général d’armée. Il en fit les fonctions avec beaucoup d’intelligence, une galanterie et une magnificence extrême. Cet éclat et cette marque si distinguée de la faveur de Lauzun donna fort à penser à Louvois que Lauzun ne ménageoit en aucune sorte. Ce ministre se joignit à Mme de Montespan,