Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 20.djvu/51

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mort de Guitry, au passage du Rhin, 12 juin 1672, fut grand maître de la garde-robe.

On peut juger de l’état d’un homme tel qu’étoit Lauzun, précipité en un clin d’œil de si haut dans un cachot du château de Pignerol, sans voir personne et sans imaginer pourquoi. Il s’y soutint pourtant assez longtemps, mais à la fin il y tomba si malade qu’il fallut songer à se confesser. Je lui ai ouï conter qu’il craignit un prêtre supposé ; qu’à cause de cela, il voulut opiniâtrement un capucin, et que dès qu’il fut venu, il lui sauta à la barbe, et la tira tant qu’il put de tous côtés pour voir si elle n’étoit point postiche. Il fut quatre ou cinq ans dans ce cachot. Les prisonniers trouvent des industries que la nécessité apprend. Il y en avoit au-dessus de lui et à côté, aussi plus haut : ils trouvèrent moyen de lui parler. Ce commerce les conduisit à faire un trou bien caché pour s’entendre plus aisément, puis de l’accroître et de se visiter.

Le surintendant Fouquet étoit enfermé dans leur voisinage depuis décembre 1664, qu’il y avoit été conduit de la Bastille, où on l’avoit amené de Nantes où le roi étoit, et où il l’avoit fait arrêter le 5 septembre 1661, et mener à la Bastille. Il sut par ses voisins, qui avoient trouvé aussi moyen de le voir, que Lauzun étoit sous eux. Fouquet, qui ne recevoit aucune nouvelle, en espéra par lui, et eut grande envie de le voir. Il l’avoit laissé jeune homme, pointant à la cour par le maréchal de Grammont, bien reçu chez la comtesse de Soissons d’où le roi ne bougeoit, et le voyoit déjà de bon œil. Les prisonniers qui avoient lié commerce avec lui firent tant qu’ils le persuadèrent de se laisser hisser par leur trou pour voir Fouquet chez eux, que Lauzun aussi étoit bien aise de voir. Les voilà donc ensemble, et Lauzun à conter sa fortune et ses malheurs à Fouquet. Le malheureux surintendant ouvroit les oreilles et de grands yeux quand il entendit dire à ce cadet de Gascogne, trop heureux d’être recueilli et hébergé chez le maréchal de