Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 20.djvu/53

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qui la fit épouser, en 1663, à Nogent, qui étoit Bautru, et capitaine de la porte, et maître de la garde-robe, tué au passage du Rhin, laissant un fils et des filles. La seconde épousa Belsunce, et passa sa vie avec lui dans leur province ; la troisième fut abbesse de Notre-Dame de Saintes, et la quatrième, du Ronceray [1] à Angers.

Mme de Nogent n’avoit ni moins d’esprit, ni guère moins d’intrigue que son frère, mais bien plus suivie et bien moins d’extraordinaire que lui, quoiqu’elle en eût aussi sa part. Mais elle fut fort arrêtée par l’extrême douleur de la perte de son mari, dont elle porta tout le reste de sa vie le premier grand deuil de veuve, et en garda toutes les contraignantes bienséances. Ce fut la première qui s’en avisa. Mme de Vaubrun, sa belle-soeur, suivit son exemple. Elles avoient épousé les deux frères, et dans ces derniers temps Mme de Cavoye, de qui j’ai assez parlé ici. Malgré ce deuil, Mme de Nogent plaça l’argent des brevets de retenue de la dépouille de son frère, et des dragons qu’il avoit eus pour rien, régiment et charge de colonel général qu’il avoit vendus ; elle prit soin du reste de son bien, et en accumula si bien les revenus, et le fit si bien valoir pendant sa longue prison, qu’il en sortit extrêmement riche. Elle eut enfin la permission de le voir, et fit plusieurs voyages à Pignerol.

Mademoiselle étoit inconsolable de cette longue et dure prison, et faisoit toutes les démarches possibles pour délivrer le comte de Lauzun. Le roi résolut enfin d’en profiter pour le duc du Maine et de la lui faire acheter bien cher. Il lui en fit faire la proposition, qui n’alla pas à moins qu’à assurer, après elle, au duc du Maine et à sa postérité le comté d’Eu, le duché d’Aumale et la principauté de Dombes. Le don étoit énorme, tant par le prix que par la dignité et l’étendue de ces trois morceaux. Elle avoit de plus assuré les

  1. Il faut lire Ronceray et non Romeray, comme le portent les anciennes éditions. Cette abbaye, de l’ordre de Saint-Benoît, avait été fondée, au XIe siècle, par Foulques-Nera, comte d’Anjou.