Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 20.djvu/82

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promettre sans tenir, force mécontents, quoique presque tous bien mal à propos, une foule d’ingrats dont le monde est plein, et qui dans les cours font de bien loin le plus grand nombre, ceux qui se croyoient en passe d’espérer plus du successeur pour leur fortune et leurs vues, enfin un monde d’amateurs stupides de nouveautés.

Dans l’Église, les béats et même les dévots se réjouirent de la délivrance du scandale de sa vie, et de la force que son exemple donnoit aux libertins, et les jansénistes et les constitutionnaires, d’ambition ou de sottise, s’accordèrent à s’en trouver tous consolés. Les premiers, séduits par des commencements pleins d’espérance, en avoient depuis éprouvé pis que du feu roi ; les autres, pleins de rage qu’il ne leur eût pas tout permis, parce qu’ils vouloient tout exterminer, et anéantir une bonne fois et solidement les maximes et les libertés de l’Église gallicane, surtout les appels comme d’abus [1], établir la domination des évêques sans bornes, et revenir à leur ancien état de rendre la puissance épiscopale redoutable à tous, jusques aux rois, exultoient de se voir délivrés d’un génie supérieur, qui se contentoit de leur sacrifier les personnes, mais qui les arrêtoit trop ferme sur le grand but qu’ils se proposoient, vers lequel tous leurs artifices n’avoient cessé de tendre, et ils espéroient tout d’un successeur qui ne les apercevroit pas, qu’ils étourdiroient aisément, et avec qui ils seroient plus librement hardis.

Le parlement, et comme lui tous les autres parlements, et toute la magistrature, qui, par être toujours assemblée, est si aisément animée du même esprit, n’avoit pu pardonner à M. le duc d’Orléans les coups d’autorité auxquels le parlement lui-même l’avoit enfin forcé plus d’une fois d’avoir recours, par les démarches les plus hardies, que ses longs délais et sa trop lente patience avoit laissé porter à le dépouiller

  1. L’appel comme d’abus était, dans l’ancienne monarchie, l’appel devant un tribunal laïque contre un jugement ecclésiastique, qu’on prétendait avoir été mal et abusivement rendu.