alors : il causa. Ce qu’il fit en ces années de jeunesse peut se résumer en ce seul mot. Il causa donc avec les gens de lettres en renom ; il connut Marmontel, La Harpe, d’Alembert ; il connut surtout Diderot, le plus accueillant par nature et le plus hospitalier des esprits. L’influence de ce dernier sur lui fut grande, plus grande qu’on ne le supposerait, à voir la différence des résultats. Diderot eut, certes, en M. Joubert un singulier élève, un élève épuré, finalement platonicien et chrétien, épris du beau idéal et du saint, étudiant et adorant la piété, la chasteté, la pudeur, ne trouvant, pour s’exprimer sur ces nobles sujets, aucune forme assez éthérée, aucune expression assez lumineuse. Pourtant, ce n’est que par ce contact de Diderot qu’on s’explique bien en M. Joubert la naissance, l’inoculation de certaines idées si neuves, si hardies alors, et qu’il rendit plus vraies en les élevant et en les rectifiant. M. Joubert eut sa période de Diderot dans laquelle il essaya tout ; plus tard il choisit. De tout temps, même de bonne heure, il eut du tact ; le goût ne lui vint qu’ensuite. « Le bon jugement en littérature, disait-il, est une faculté très-lente, et qui n’atteint que fort tard le dernier point de son accroissement. » Arrivé à ce point de maturité, M. Joubert rendait encore à Diderot cette justice qu’il y a bien plus de folies de style que de folies d’idées dans ses ouvrages. Ce fut surtout en matière d’art et de littérature qu’il lui dut l’éveil et l’initiation. Mais, en tombant dans une âme si délicate et si légère, ces idées de réforme littéraire et de régénération de l’art qui, chez Diderot, avaient conservé je ne sais quoi de bourgeois et de prosaïque, de fumeux et de déclamatoire, s’éclaircirent et s’épurèrent ; revêtirent un caractère d’idéal qui les rapprocha insensiblement de la beauté grecque ; car c’était un Grec que M. Joubert, c’était un
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