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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/29

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lettre adressée à un ami ; cette préface apologétique a pour objet d’excuser l’auteur, qui sent, malgré tout, l’inconvenance d’une publication romanesque dans les circonstances graves où il s’est placé et où il a tout fait pour placer son pays. Le poëte a le don des larmes ; il en verse quelques-unes pour essayer de nous attendrir. Il s’agissait pour lui de vendre Milly, sa terre natale, la terre des tombeaux de famille, ou de vendre son manuscrit des Confidences. Au dernier moment, et par respect, dit-il, pour l’ombre de sa mère, de son père, de ses sœurs, il n’a pas hésité : « L’acte était sur la table. D’un mot j’allais aliéner pour jamais cette part de mes yeux (Milly). La main me tremblait, mon regard se troublait, le cœur me manqua… Je pesai d’un côté la tristesse de voir des yeux indifférents parcourir les fibres palpitantes de mon cœur à nu sous des regards sans indulgence ; de l’autre le déchirement de ce cœur dont l’acte allait détacher un morceau par ma propre main. Il fallait faire un sacrifice d’amour-propre ou un sacrifice de sentiment. Je mis la main sur mes yeux, et je fis le choix avec mon cœur… » Je ne connais rien de plus triste que cette prodigalité de cœur qui est répandue sur toute cette préface, sous prétexte d’y couvrir ce que l’auteur ne fait par là qu’étaler. Puisqu’il fallait qu’il se décidât à un parti pénible, une préface brève, nette et simple, aurait bien mieux convenu, et elle nous aurait convaincus plus réellement de la violence qu’il se faisait à lui-même.

L’auteur vient de nous dire qu’en publiant les Confidences il sacrifiait l’amour-propre au sentiment. En parlant ainsi, il s’exagère un peu le sacrifice ; son amour-propre, en effet, on va le voir, n’est pas le moins du monde en souffrance dans tout le livre. « Mon Dieu ! s’écrie-t-il en commençant, j’ai souvent regretté d’être né ; j’ai sou-