Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/290

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bres, la partie biographique, anecdotique, viendrait très à propos, à la condition qu’on choisirait non pas l’anecdote futile, mais celle qui caractérise. Pour rendre ces simples Cours intéressants, pour savoir être à la fois clair et agréable sur de tels sujets, en s’adressant à des auditeurs qui ne sont pas de tout jeunes esprits, mais des adultes déjà faits et plus exigeants, ce ne serait pas trop d’un talent capable d’emplois en apparence très-supérieurs et qui ne le sont point.

Dans ces deux Cours je voudrais que, tout en insistant sur les beautés et sur les grandeurs de la littérature française et de l’histoire nationale, on se gardât bien de dire ce qui se dit et se répète partout, dans les Collèges et même dans les Académies, aux jours de solennité, que le peuple français est le plus grand et le plus sensé de tous les peuples, et notre littérature la première de toutes les littératures. Je voudrais qu’on se contentât de dire que c’est une des plus belles, et qu’on laissât entrevoir que le monde n’a pas commencé et ne finit pas à nous.

Je voudrais qu’en disant nos belles qualités comme peuple, à des hommes qui en sont déjà assez pénétrés, on ajoutât, en le prouvant quelquefois par des exemples, que nous avons aussi quelques défauts ; qu’en France ce qu’on a le plus, c’est l’essor et l’élan, que ce qui manque, c’est la consistance et le caractère ; que cela a manqué à la noblesse autrefois et pourrait bien manquer au peuple aujourd’hui, et qu’il faut se prémunir de ce côté et se tenir sur ses gardes. En un mot, échauffer et entretenir le sentiment patriotique en l’éclairant, sans tomber dans le lieu commun national, qui est une autre sorte d’ignorance qui s’infatue et qui s’enivre, ce serait là l’esprit dont je voudrais voir animé cet humble et capital enseignement.