Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/295

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pour eux-mêmes, et aussi d’égard et de respect pour les choses qu’ils viennent entendre et pour celui qui les lit.

Une parfaite bienséance règne dans la salle avant l’arrivée du lecteur : dès qu’il est arrivé, le plus profond silence s’établit, et les moindres impressions se peignent, soit par un silence encore plus attentif, soit par un frémissement très-sensible, comme dans les auditoires les plus exercés. Quand on lit des comédies, la gaieté brille sur les visages, et, aux bons endroits, le rire ne se fait pas attendre. Voici, au reste, quelques notes que je donne telles que je les reçois de M. Souvestre sur l’effet des diverses lectures :
      « Poésies de Casimir Delavigne. — Goûtées.
      « Jeanne d’Arc, récit de Michelet. — Très-grand effet.
      « Molière. — Je n’ai jamais lu de pièces complètes (si ce n’est le Dépit amoureux et les Précieuses). J’analysais et je donnais les principales scènes, de manière à pouvoir faire connaître, chaque fois, toute une pièce. — L’effet a toujours été très-grand.
      « Corneille. — J’ai agi pour lui comme pour Molière ; effet très-grand.
      « Racine. — Même méthode ; effet moins grand. »

On pouvait le prévoir ; il faut plus d’éducation et de culture pour goûter Racine ; la force n’y est pas tout en dehors comme chez Corneille, elle y est vêtue et voilée. Les personnes qui ont le mieux connu Napoléon ont remarqué que, dans cette éducation littéraire rapide qu’il dut s’improviser à lui-même quand il eut pris possession de la puissance, il commença par préférer hautement Corneille ; il n’en vint que plus tard à goûter Racine, mais il y vint. Il avait commencé comme le peuple commence ; il finit comme aiment à finir les esprits cultivés et avertis. Je continue de donner les simples notes qui suggèrent, chemin faisant, plus d’une réflexion littéraire :