Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/39

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sition à l’autre endroit du volume. Mais peu nous importe, et le poëte a eu, dans sa vie, bien d’autres oublis plus graves. La seule conséquence que je veuille tirer de cette date récente, est toute littéraire ; elle porte sur un défaut qui affecte désormais la manière de M. de Lamartine, même à ses meilleurs moments. Je voudrais essayer ici de faire sentir ce défaut, de le faire toucher du doigt.

Parmi les auteurs qui ont eu le plus d’influence sur M. de Lamartine, et qui ont le plus agi de bonne heure sur sa forme d’imagination, il faut mettre au premier rang Bernardin de Saint-Pierre. Le poëte des Harmonies et de Jocelyn procède manifestement de lui ; il ne perd aussi aucune occasion de l’avouer pour maître et de le célébrer. Paul et Virginie a été son livre de prédilection dès l’enfance. Un des plus heureux passages de l’épisode de Graziella, c’est quand le poëte, après la tempête qui l’a jeté dans l’île de Procida, réfugié au sein de cette famille de pêcheurs, se met à lire et à traduire à ces pauvres gens, durant la veillée, quelques-uns des livres qu’il a sauvés du naufrage. Il y a trois volumes en tout : l’un est le roman de Jacopo Ortis ; l'autre est un volume de Tacite (le poëte, dès ce temps-là, ne sortait jamais sans un Tacite, en prévision de ses futures destinées) ; enfin, le troisième volume est Paul et Virginie. Le poëte essaie vainement de faire comprendre à ces bonnes gens, tout voisins de la nature, ce que c’est que la douleur de Jacopo Ortis, et ce que c’est que l’indignation de Tacite ; il ne réussit qu’à les ennuyer et à les étonner. Mais Paul et Virginie ! à peine a-t-il commencé à le leur traduire, qu’à l’instant la scène change, les physionomies s’animent, tout a pris une expression d’attention et de recueillement, indice certain de l’émotion du cœur. La note naturelle est