conçu des doutes sur les matières de foi, et elle s’en expliquait assez librement. Ses parents ne lui envoyèrent pas moins que Massillon en personne pour la réduire. Le grand prédicateur l’écouta, et dit pour toute parole en se retirant : « Elle est charmante. » L’abbesse insistant pour savoir quel livre il fallait donner à lire à cette enfant, Massillon répondit, après un moment de silence : « Donnez-lui un catéchisme de cinq sous. » Et l’on n’en put tirer autre chose. Il semblait désespérer d’elle dès le premier jour. Mme Du Deffand eut cela de particulier du moins, entre les esprits-forts de son siècle, de n’y point mettre de bravade, de sentir que la philosophie qu’on affiche cesse d’être de la philosophie, et elle se contenta de rester en parfaite sincérité avec elle-même. Quand Mlle Aïssé mourante désira un confesseur, ce fut Mme Du Deffand qui, avec Mme de Parabère, aida à le lui procurer.
Mme Du Deffand regrettait souvent de n’avoir pas eu une autre éducation, et maudissait celle qu’elle avait reçue : « On se fait quelquefois, disait-elle, la question si l’on voudrait revenir à tel âge ? Oh ! je ne voudrais pas redevenir jeune, à la condition d’être élevée comme je l’ai été, de ne vivre qu’avec les gens avec lesquels j’ai vécu, et d’avoir le genre d’esprit et de caractère que j’ai ; j’aurais tous les mêmes malheurs que j’ai eus : mais j’accepterais avec grand plaisir de revenir à quatre ans, d’avoir pour gouverneur un Horace… » Et là-dessus elle se traçait l’idéal de tout un plan d’éducation sous un homme éclairé, instruit, tel que l’était son ami Horace Walpole. Le plan qu’elle imaginait était sérieux et beau, mais l’éducation qu’elle se donna, ou plutôt qu’elle ne dut qu’à la nature et à l’expérience, fit d’elle une personne plus originale et plus à part. On n’aurait pas su tout ce qu’elle était ni tout ce qu’elle valait