Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/95

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nacé, dans toute l’Europe, par une nouvelle invasion de barbares. » Une fois entré dans cette veine toute vive, il n’en sortit plus, et tout son discours ne fut qu’une évocation directe, personnelle, prophétique. On a souvent dit de la puissance de la parole qu’elle transporte ; jamais le mot ne fut plus applicable que dans ce cas ; il n’y eut jamais de discours plus transportant. La noble Chambre fut près d’oublier un moment sa gravité dans un enthousiasme jusqu’alors sans exemple ; toutes les arrière-pensées, d’ordinaire prudentes et voilées, reconnaissant tout d’un coup leur expression éclatante, se révélèrent. On peut dire que la Chambre des pairs eut son chant du cygne dans ce dernier discours de M. de Montalembert.

Il y aurait eu pourtant, au point de vue politique ou même seulement logique, des observations à faire sur quelques parties de ce discours, si l’effet général n’avait tout couvert. Par exemple, l’orateur, au milieu de tout ce qu’il signalait de dangers, continuait de faire ses réserves en faveur de la liberté entière et absolue. Il dénonçait chez nous les manifestations et ce qu’il appelait les excès du radicalisme, et il approuvait qu’on les tolérât. Il sonnait la trompette d’alarme, et il ajoutait en même temps : Gardez-vous de courir aux armes ! C’était là un reste d’inconséquence et de système dont il a fallu le 24 février pour l’affranchir, lui et beaucoup d’autres. Depuis lors, son beau talent, avec la fermeté, la souplesse et la vigueur qui le distinguent, avec cet art de présenter la pensée sous des aspects toujours larges et nets, avec l’éclat et la magnificence du langage qui ne se séparent point chez lui de la chaleur du cœur, s’est mis tout entier au service non-seulement des belles causes, des causes généreuses, mais aussi des choses praticables et possibles. C’est là le point sur lequel j’aime