Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
108
CAUSERIES DU LUNDI.

Janin du rôle, mais le Janin de l’entr’acte qui parle, le Janin véridique et franc du collier ! Courage ! lui dirai-je, que ce soit ce dernier qui parle souvent !

Entre tous ces feuilletons qu’il écrit depuis tant d’années et qui lui assurent une physionomie originale dans l’histoire des journaux de ce temps-ci, on ferait un choix très-agréable, très-intéressant à relire et à consulter. Jamais on n’a mieux parlé que lui de ces choses fugitives et rapides, qui pourtant ont été l’événement d’un jour, d’une heure, et qui ont vécu. Sur un brouillard du soir, sur un violoniste qui passe, sur une danseuse qui s’en va, sur une bouquetière qui meurt, il a écrit des pages délicieuses qui méritent d’être conservées. Sur Scribe, sur Balzac, sur Eugène Sue, sur Théophile Gautier, sur Méry, il a écrit des jugements rapides, nuancés, trouvés à l’heure même, qu’on ne refera pas, et qu’il faudrait découper, isoler de ce qui les entoure. Ce choix que je désire dans les feuilletons de Janin, il serait bon peut-être que ce fût un autre que lui qui se chargeât de le faire. Martial a très-bien jugé ses propres épigrammes ; pourtant, s’il avait fallu faire un choix, un triage dans un si grand nombre de pièces, est-ce Martial qui en eût été le plus capable ? Vous voyez que je dis toute ma pensée.

Mais je m’oublie à parler de l’écrivain, et le roman est là qui me rappelle. M. Janin nous raconte dans sa préface qu’à travers ses occupations de chaque semaine et les feuilles qu’il jette au vent, il voulait, lui aussi, faire son volume et son livre, qu’il avait depuis dix ans sur le chantier son œuvre capitale, son canot de Robinson. Ce devait être un livre qui aurait eu pour sujet le règne de Louis XV, et pour titre la Fin du Monde. Quand éclata la Révolution de février 1848, M. Janin sentit aussitôt qu’il ne fallait pas porter l’eau, comme