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CAUSERIES DU LUNDI.

chères espérances, il s’était tourné du côté de Dieu, et, dans son premier accès de douleur, il avait voulu se faire chartreux ; puis, son peu de santé s’y opposant, il s’était voué simplement à la prêtrise. Il fut ordonné sous-diacre le 22 décembre 1646, c’est-à-dire neuf jours après le mariage de celle qu’il aimait. Il s’acquit l’estime publique et devint Chancelier de l’Église et de l’Université de Toulouse. Député à Paris à l’Assemblée du Clergé de 1656 (à cette heure décisive des Provinciales), il y contracta des liaisons avec les principaux chefs du parti janséniste. Le prince de Conti, gouverneur du Languedoc, s’était converti et obéissait aux influences jansénistes lui-même ; M. de Ciron fut chargé de le diriger. Cependant Mme  de Mondonville perdit son mari après quelques années de mariage, et ce fut l’abbé de Ciron qui, comme prêtre, assista cet ancien rival dans sa maladie et jusqu’à sa mort.

Mme  de Mondonville était, tout l’atteste, une personne de tête et de capacité, ferme, altière, séduisante, ayant l’instinct et le génie de la domination. Ces femmes-là, sur le trône, s’appellent Elisabeth, Catherine. M. de Talleyrand avait surnommé la princesse Élisa, sœur aînée de Bonaparte, la Sémiramis de Lucques. Mme  de Mondonville, libre et riche, sans enfants, pensa à se créer un petit empire et à être la Sémiramis d’un monde choisi où elle régnerait.

De concert avec l’abbé de Ciron, elle posa les bases de l’Institut nouveau qu’elle prétendait fonder ; elle dressa les Constitutions de la Congrégation dite de l’Enfance, ainsi nommée parce qu’il s’agissait d’y honorer particulièrement la divine enfance de Jésus-Christ. Ce que la fondatrice voulait établir, ce n’était pas un Ordre religieux ni un cloître austère ; c’était quelque chose d’intermédiaire entre la retraite et le monde, un asile en