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CAUSERIES DU LUNDI.

Saint-Simon, et dont la mort lui arrache, à lui l’observateur inexorable, des accents d’éloquence émue et des larmes, qui donc l’avait transformé ainsi ? Laissons la part due à tout ce que vous voudrez reconnaître de mystérieux et d’invisible dans ces opérations du dedans, même à ce qu’on appelle la grâce ; laissons sa part au vénérable duc de Beauvilliers, gouverneur excellent ; mais, entre les instruments humains, à qui donc fera-t-on plus large part qu’à Fénelon, à celui qui, de près comme de loin, ne cessa d’influer directement sur son élève, de lui inculquer, de lui insinuer cette maxime de père de la patrie, « qu’un roi est fait pour le peuple, » et tout ce qui en dépend ?

Nous en savons maintenant là-dessus, à certains égards, plus que n’en savait Saint-Simon : nous avons les lettres confidentielles que Fénelon adressa de tout temps au jeune prince, les mémoires qu’il rédigea pour lui, les plans de réforme, toutes pièces alors secrètes, aujourd’hui divulguées, et qui, en permettant de laisser à l’ambition humaine la place qu’il faut toujours faire aux défauts de chacun jusque dans ses vertus, montrent celles-ci du moins au premier rang, et mettent désormais dans tout son jour l’âme patriotique et généreuse de Fénelon.

Bossuet aussi, de concert avec le duc de Montausier, a fait un élève, le premier Dauphin, père de ce même duc de Bourgogne ; c’est pour ce royal et peu digne élève qu’il a composé tant d’admirables écrits, à commencer par le Discours sur l’Histoire universelle, dont jouit pour jamais la postérité. Mais, à y regarder de près, quelle différence de soins et de sollicitude ! Le premier Dauphin prêtait moins sans doute à l’éducation ; il avait une douceur poussée jusqu’à l’apathie. Le duc de Bourgogne, avec des passions et même des vices,