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HUET

réformer le goût. Huet est de ces hommes qui continuent, qui achèvent et épuisent un mouvement, non pas de ceux qui le recommencent.

Huet, je le répète, représente et prolonge le xvie siècle et le mouvement de la Renaissance, non-seulement dans le xviie siècle, qu’il traverse tout entier, mais jusque dans le xviiie. Il ne lui manque, pour faire le lien des deux époques, de la Renaissance et des temps modernes, pour donner la main, d’une part à Politien, et de l’autre à Voltaire, que d’avoir en son humeur tempérée cette ouverture, cette disposition accueillante aux idées nouvelles qu’eut, pour sa part, le sage et discret Fontenelle. Huet, bien que si partisan des anciens, est assez de la littérature de Fontenelle en ce qui concerne le goût moderne ; il est un peu de sa philosophie, mais avec un petit ressort de moins.

Quand on vient de lire le traité de Huet sur la Faiblesse de l’Esprit humain, il semble qu’on n’ait qu’à tourner le feuillet pour lire la pièce de Voltaire sur les Systèmes, ou son admirable lettre à M. Des Alleurs sur le doute (26 novembre 1738) ; mais on ne voit pas que Huet ait été homme à tourner ce feuillet. Mort dans le xviiie siècle, il en aurait le scepticisme, s’il avait en lui je ne sais quoi de l’étincelle des temps nouveaux ; mais il n’a, à aucun degré, cette étincelle que Bayle avait, par exemple, tout en doutant. Huet est de ceux qui entretiennent et conservent, non pas de ceux qui transmettent, en courant, le flambeau.

Il n’y avait entre Huet et le xviiie siècle qu’une mince cloison, mais il ne l’a point percée.

Que faut-il pourtant penser, au fond, de la religion de Huet ? Je la crois sincère, quoiqu’en la serrant un peu on puisse y trouver bien des contradictions. Voltaire a justement remarqué que ce traité posthume de Huet sur