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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/20

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CAUSERIES DU LUNDI.

que la manière saine et mâle que Bossuet portait en chaque sujet retrouve toute sa supériorité.

Je sais, en parlant ainsi des Lettres de Fénelon, les exceptions qu’il convient de faire : il y en a de très-belles de tout point et de très-solides, telles que celle à une dame de qualité sur l’éducation de sa fille, telles que les Lettres sur la Religion qu’on suppose adressées au duc d’Orléans (le futur Régent), et qui se placent d’ordinaire à la suite du traité de l’Existence de Dieu. Mais je parle des Lettres spirituelles proprement dites, et je ne crains pas que ceux qui en auront lu un bon nombre me démentent.

Mme de Maintenon, en recevant les lettres de Fénelon, et tout en les goûtant pour leur délicatesse infinie, les jugeait pourtant avec cet excellent esprit et ce bon sens qu’elle appliquait à tout ce qui n’excédait pas sa portée et l’horizon de son intérieur. Elle eut des doutes sur quelques expressions un peu vives et un peu hasardées, du détail desquelles je fais grâce ici. Pour s’en éclaircir, elle consulta un autre directeur, homme de sens, l’évéque de Chartres (Godet des Marais), et Fénelon eut à se justifier, à s’expliquer. Dans l’explication de lui que nous lisons dans ce volume, et par laquelle il s’attache à réduire ces expressions mystiques et légèrement étranges à leur juste valeur, je suis frappé d’un tour habituel qui a déjà été remarqué, et qui est un trait du caractère de Fénelon. Tout en soutenant ses expressions, ou du moins en les justifiant moyennant des autorités respectables, il termine chaque paragraphe en disant, en répétant sous toutes les formes : « Un prophète (ou un saint) avait déjà dit avant moi quelque chose d’équivalent ou de plus fort, je ne fais que redire la même chose, et plutôt moins fortement ; mais cependant je me soumets. » Ce refrain de soumission , revenant perpé-