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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/316

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CAUSERIES DU LUNDI.

il est du groupe second et encore si rare des Burns, des Horace, des La Fontaine. Mais ces derniers, qui n’ont jamais été des poètes de parti, restent par là même plus élevés et d’un ordre plus universellement humain. Lisez Horace dans ses Épîtres, La Fontaine dans ses Fables : ils n’ont cajolé aucune passion, ni dorloté aucune sottise humaine. Si Béranger en a fustigé plus d’une, ç’a trop été pour en caresser d’autres. Béranger est arrivé, en définitive, je le crois, à la même conclusion que Voltaire, que Rabelais, que Cervantès, qu’il y a dans le monde plus de fous que de sages, plus de fous, dit-il, que de méchants. Mais cette observation se marque-t-elle assez dans ses œuvres, et ne semble-t-il pas souvent, à le lire, que toute la sagesse, toute la raison soit d’un côté, le tort et la déraison de l’autre ? Cette préoccupation de la sagesse et de la vertu infaillible des masses le diminue beaucoup, à mon sens. Mais, à une époque d’effort, de lutte et de calcul, il a su trouver sa veine, il a fait jaillir sa poésie, une poésie savante et vive, sensible, élevée, malicieuse, originale, et il a excellé assez pour être sûr de vivre, lors même que quelques-unes des passions qu’il a servies, et qui ne sont pas immortelles, seront expirées.


Cet article sur Béranger a servi de prétexte et de point de départ à un article de M. de Pontmartin, qui a fait du bruit et qui commence ainsi :

« Je viens de relire les Causeries du Lundi… Il y a dans le second volume un chapitre fait, selon moi, pour racheter bien des peccadilles, bien des Chateaubriand romanesque et amoureux, bien des Regrets, bien des versets de la litanie Lespinasse, Geoffrin et Du Deffand. C’est le chapitre où M. Sainte-Beuve a rendu un immense service à la littérature et à la morale en attachant le grelot à la gloire de M. Béranger. »