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CAUSERIES DU LUNDI.

pique d’être moral sans pratiquer les mœurs, et de professer la religion sans aller toujours à confesse. Moi aussi, j’ai jugé pour mon plaisir M. de Pontmartin comme j’avais jugé autrefois Béranger, et voici la note, depuis longtemps écrite, que je tire du même cahier familier d’où j’ai extrait quelques-unes de mes impressions de fond sur le poëte national. À chacun son tour :

« Je viens de lire les Nouvelles Causeries de M. de Pontmartin. C’est facile, coulant ; l’auteur a une fluidité nuancée et spirituelle de détail, mais aucune résistance ni solidité de jugement, aucune proportion dans sa mesure des talents et dans la comparaison des ouvrages, aucune fermeté, aucun fond. Il croit avoir des principes, il n’a que des indications fugitives, des complaisances ou des répugnances de société, et il s’y abandonne tout entier.

« Souvent de la grâce, mais le jugement frêle. — Il n’a que peu d’invention et d’initiative ; mais qu’on lui donne un commencement d’idée ou les trois quarts d’une idée, il excelle à la pousser et à l’achever.

« Son filet de voix est continu, intarissable et agréable autant qu’une voix aussi fluette et aussi fêlée peut l’être ; et, comme le dit de lui le poëte Barbier, « il a de la parlotte en critique. »

M. de Pontmartin peut croire que j’aime quelquefois à monter à l’assaut, et il se pourrait bien que, sous mon air de prudence en critique, j’y fusse monté plus souvent que lui. Il me reste cependant à déclarer que, si quelqu’un s’emparait de ce précédent jugement sur M. de Pontmartin pour m’en faire penser sur son compte plus que je n’en ai dit, je protesterais de même, et que, ces réserves une fois posées, je n’ai plus que des compliments à lui faire. Toutes les fois qu’il n’y a rien de bien solide à dire, et quand il est surtout dans des eaux toutes contemporaines, c’est un très-agréable causeur.