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CAUSERIES DU LUNDI.

Lambert, Helvétius, Raynal, Thomas, Grimm, d’Holbach, Burigny de l’Académie des Inscriptions. Une seule femme y était admise avec la maîtresse de la maison : c’était Mlle de Lespinasse. Mme Geoffrin avait remarqué que plusieurs femmes dans un dîner distraient les convives, dispersent et éparpillent la conversation : elle aimait l’unité et à rester centre. Le soir, la maison de Mme Geoffrin continuait d’être ouverte, et la soirée se terminait par un petit souper très-simple et très-recherché, composé de cinq ou six amis intimes au plus, et cette fois de quelques femmes, la fleur du grand monde. Pas un étranger de distinction ne vivait ou ne passait à Paris sans aspirer à être admis chez Mme Geoffrin. Les princes y venaient en simples particuliers ; les ambassadeurs n’en bougeaient dès qu’ils y avaient pied. L’Europe y était représentée dans la personne des Caraccioli, des Creutz, des Galiani, des Gatti, des Hume et des Gibbon.

On le voit déjà, de tous les salons du xviiie siècle, c’est celui de Mme Geoffrin qui est le plus complet. Il l’est plus que celui de Mme Du Deffand, qui, depuis la défection de d’Alembert et des autres à la suite de Mlle de Lespinasse, avait perdu presque tous les gens de Lettres. Le salon de Mlle de Lespinasse, à part cinq ou six amis de fond, n’était lui-même formé que de gens assez peu liés entre eux, pris çà et là, et que cette spirituelle personne assortissait avec un art infini. Le salon de Mme Geoffrin nous représente, au contraire, le grand centre et le rendez-vous du xviiie siècle. Il fait contrepoids, dans son action décente et dans sa régularité animée, aux petits dîners et soupers licencieux de Mlle Quinault, de Mlle Guimard, et des gens de finances, les Pelletier, les La Popelinière. Vers la fin ce salon voit se former, en émulation et un peu en rivalité avec lui, les