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CAUSERIES DU LUNDI.

tous ses autres écrits, garde un caractère aimable autant qu’amusant, et c’est ce qui en fait le charme et l’originalité même. Tel est surtout le caractère qu’elle offre dans son roman de Gil Blas, ce facile et délicieux chef-d’œuvre, auquel son nom est à jamais attaché.

Gil Blas se publia successivement en quatre volumes dont les derniers suivirent à des époques assez éloignées. Les deux premiers volumes parurent en 1715, l’année même de la mort de Louis XIV. Il s’y sentait comme une fraîcheur de jeunesse et une liberté d’allure qui convenait au début d’une époque émancipée. Que dire de Gil Blas qui n’ait pas déjà été dit, que n’aient pas senti et exprimé tant de panégyristes ingénieux, de critiques délicats et fins, et que tout lecteur judicieux n’ait pas pensé de lui-même ? Aussi me contenterai-je humblement de redire et de répéter[1]. L’auteur, dans ce récit étendu, développé et facile, a voulu représenter la vie humaine telle qu’elle est, avec ses diversités et ses aventures, avec les bizarreries qui proviennent des jeux du sort et de la fortune, et surtout avec celles qu’y introduit la variété de nos humeurs, de nos goûts et de nos défauts. Gil Blas est un homme de naissance très-humble et commune, de toute petite bourgeoisie ; il se montre de bonne heure éveillé, gentil garçon, spirituel ; il a une éducation telle quelle, et il sort à dix-sept ans de chez lui pour faire son chemin dans le monde. Il

  1. Sur Gil Blas et sur Le Sage, il faut lire la Notice de Walter Scott, les pages de M. Villemain dans le tome premier du Tableau de la Littérature au XVIIIe siècle, et les Éloges si distingués et si bien sentis de M. Patin et de M. Malitourne, qui ont partagé le prix de l’Académie française en 1822. Tous les vrais jugements littéraires s’y trouvent exprimés. Quant à la question des imitations et emprunts, des sources où Le Sage a puisé tant pour Gil Blas que pour ses autres romans, un travail impartial et complet là-dessus est encore à faire.