Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/384

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
374
CAUSERIES DU LUNDI.

le poser pour ne pas entendre les ennuyeux et les sots[1]. Sur la fin de sa vie il n’avait le plein usage de ses facultés que vers le milieu de la journée, et on remarquait que son esprit montait et baissait chaque jour avec le soleil. Il mourut à Boulogne, le 17 novembre 1747, dans sa quatre-vingtième année. Le comte de Tressan, alors commandant de la province, se fit un devoir d’assister aux obsèques avec son état-major. La mort remit bientôt Le Sage à son rang, et celui qui n’avait rien été de son vivant, et de qui on ne parlait jamais sans mêler à l’éloge quelque petit mot de doléance et de regret, se trouve aujourd’hui classé sans effort dans la mémoire des hommes, à la suite des Lucien et des Térence, à côté des Fielding et des Goldsmith, au-dessous des Cervantes et des Molière.

NOTE.

M. Depping, dans un article du journal le Temps (numéro du 29 décembre 1835), a donné, d’après un auteur anglais, quelques détails nouveaux sur Le Sage. Je traduirai ici le passage même de cet auteur anglais, Joseph Spence, qui avait visité Le Sage dans un voyage en France :

« Sa maison est à Paris, dit Spence, dans le faubourg Saint-Jacques, et se trouve ainsi bien exposée à l’air de la campagne. Le jardin se présente de la plus jolie manière que j’aie jamais vue pour un jardin de ville. Il est aussi joli qu’il est petit, et, quand Le Sage est dans le cabinet du fond, il se trouve tout à fait éloigné des bruits de la rue et des interruptions de sa propre famille. Le jardin est seulement de la largeur de la maison, laquelle donne d’abord sur une sorte de terrasse en parterre planté d’une variété de

  1. Sa surdité presque complète ne l’avait nullement empêché, durant des années, de suivre la représentation de ses pièces : il n’en perdait presque rien, et disait même qu’il n’avait jamais mieux jugé du jeu et de l’effet que depuis qu’il n’entendait plus les acteurs. (Diderot, Lettre sur les Sourds et les Muets.)