Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/392

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
382
CAUSERIES DU LUNDI.

naire, en prenant ce mot dans son vrai sens primitif. J’ai dit que M. de Broglie est un des esprits les plus originaux de ce temps-ci ; il l’est surtout dans la forme, dans la méthode et dans les moyens de démonstration qu’il emploie ; même quand il pense la même chose que tout le monde, quand il arrive aux mêmes conclusions, il y arrive ou s’y confirme par ses raisons a lui ; il a en tout ses raisons, vraies peut-être, subtiles quelquefois, ingénieuses toujours, et qui ne sont jamais du vulgaire : son aristocratie, s’il fallait en rechercher quelque trace en lui, se retrouverait par ce coin-là.

Il a commencé par le libéralisme pur et net ; c’est là son inspiration directe et première. Quoi qu’il fasse et quoi qu’on l’ait vu faire, M. de Broglie est libéral d’instinct et au fond. Depuis des années, c’est un libéral qui se modère sans doute beaucoup et qui se contient ; mais, même avant la Révolution de Juillet 1830, c’était un libéral qui se travaillait sans cesse et qui s’ingéniait noblement pour se perfectionner. Nul n’a fait plus que lui usage de la réflexion et de la dialectique pour réagir sur lui-même et sur son idée, pour élever sa doctrine libérale première à une puissance plus haute, pour la couronner d’une idée religieuse qui là rendît sainte, pour lui trouver au dedans de l’homme une base plus digne et plus intime que celle de l’utilité commune ou de l’intérêt bien entendu. Tous ses discours, tous ses écrits sous la Restauration viendraient bien à l’appui de cette manière d’expliquer l’esprit si distingué et si éminent, si ingénieux et si complexe, que nous avons le regret d’étudier trop rapidement.

Ses premiers discours, ses opinions exprimées à la Chambre des pairs, appartiennent sans réserve à la nuance de gauche. Il fut contre la loi dite d’amnistie (janvier 1816), qui était plutôt une loi de proscription