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JEANNE D’ARC.

Ces juges, tout occupés de convaincre d’idolâtrie cette simple fille, l’interrogeaient à satiété sur son étendard, sur l’image qu’elle y avait fait peindre : si elle ne croyait pas que des étendards tout pareils à celui-là étaient plus heureux que d’autres à la guerre. À quoi elle répondait que, pour tout sortilège, elle disait aux siens : « Entrez hardiment parmi les Anglais ! » et qu’elle y entrait elle-même.

Sur ce même étendard qu’on lui reprochait d’avoir fait porter en l’église de Reims au sacre, de préférence à celui de tous autres capitaines, elle répondit cette parole tant citée : « Il avait été à la peine, c’était bien raison qu’il fût à l’honneur. »

Il y a dans Homère un admirable passage. C’est quand Hector, ayant repoussé les Grecs de devant les murs de Troie, les vient assiéger dans leur camp à leur tour, et va leur livrer assaut jusque dans leurs retranchements, décidé à porter la flamme sur les vaisseaux ; tout à coup un prodige éclate : un aigle apparaît au milieu des airs enlevant dans ses serres un serpent qui, tout blessé qu’il est, déchire la poitrine de son superbe ennemi et le force à lâcher prise. À cette vue, un Troyen savant dans les augures, Polydamas, s’approche d’Hector, et, lui expliquant le sens du présage, lui conseille de s’éloigner de ce camp, qu’il considérait déjà comme sa proie. À ces mots, Hector furieux menace Polydamas de sa lance, et lui dit : « Peu m’importe ce que disent les oiseaux ! J’ai pour moi la parole directe et l’ordre du grand Jupiter : c’est le seul Dieu dont la volonté compte. Il n’y a qu’un augure souverain, c’est de combattre pour la patrie. »

Quand Jeanne d’Arc donna à Paris l’assaut du 8 septembre 1429, assaut où elle fut blessée, et qui fut le temps d’arrêt de ses succès, c’était un jour de fête, le jour de la Nativité de Notre-Dame ; et ce fut un des points