Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/473

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
463
M. DE BALZAC.

est mort d’une maladie de cœur, comme meurent aujourd’hui tant d’hommes parmi ceux qui ont trop ardemment labouré la vie. C’est au même mal qu’avait succombé, il y a trois ans à peine, Frédéric Soulié, qu’il serait injuste d’oublier, dès l’instant qu’on groupe les principaux chefs de cette littérature.

Peut-être, sur la tombe d’un des plus féconds d’entre eux, du plus inventif assurément qu’elle ait produit, c’est l’heure de redire que cette littérature a fourni son école et fait son temps ; elle a donné ses talents les plus vigoureux, presque gigantesques ; tant bonne que mauvaise, on peut penser aujourd’hui que le plus fort de sa sève est épuisé. Qu’elle fasse trêve du moins, qu’elle se repose ; qu’elle laisse aussi à la société le temps de se reposer après l’excès, de se recomposer dans un ordre quelconque, et de présenter à d’autres peintres, d’une inspiration plus fraîche, des tableaux renouvelés. Une terrible émulation et comme un concours furieux s’était engagé dans ces dernières années entre les hommes les plus vigoureux de cette littérature active, dévorante, inflammatoire. Le mode de publication en feuilletons, qui obligeait, à chaque nouveau chapitre, de frapper un grand coup sur le lecteur, avait poussé les effets et les tons du roman à un diapason extrême, désespérant, et plus longtemps insoutenable. Remettons-nous un peu. En admirant le parti qu’ont su tirer souvent d’eux-mêmes des hommes dont le talent a manqué des conditions nécessaires à un développement meilleur, souhaitons à l’avenir de notre société des tableaux non moins vastes, mais plus apaisés, plus consolants, et à ceux qui les peindront une vie plus calmante et des inspirations non pas plus fines, mais plus adoucies, plus sainement naturelles et plus sereines.