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M. DE MALESHERBES

vains verront aussi qu’ils n’ont pas trop à se plaindre du temps d’aujourd’hui. Ouvrons donc ensemble et parcourons quelques-uns des dossiers de la librairie pendant l’administration de M. de Malesherbes.

En 1758, Helvétius voulut publier le livre de l’Esprit, mauvais ouvrage, superficiel, indécent en bien des endroits, et plus fait pour scandaliser encore un vrai philosophe qu’un évêque. M. de Malesherbes avait donné à Helvétius pour censeur un M. Tercier, employé aux Affaires étrangères, homme du monde, qui ne vit pas grande malice au livre et qui donna son laissez-passer. Le livre avait paru quand M. de Malesherbes fut averti du scandale à la fois par un de ses subordonnés et par la clameur publique. Il arrêta immédiatement la vente du livre ; sa première idée fut de le faire examiner de nouveau par un autre censeur. « Monsieur, lui écrivait Helvétius, je suis pénétré de vos bontés ; je compte toujours sur votre amitié : j’espère que vous ne m’aurez pas mis entre les mains d’un théologien ridicule. » Il s’agissait bien de cela, en vérité, et des belles protestations d’Helvétius qui s’écriait : « Je n’ai été animé, en composant mon livre, que du désir d’être utile à l’humanité, autant qu’un écrivain peut l’être. » L’affaire avait pris des proportions effrayantes. Le Parlement s’en mêlait, et, sur le bruit public, prétendait évoquer l’affaire, en s’arrogeant le droit de juger le livre, et en empiétant ainsi sur la juridiction du Chancelier. Le Conseil du roi se hâta de prendre les devants sur la poursuite du Parlement, par un Arrêt du 10 août 1758, qui révoquait les Lettres de privilège et supprimait l’ouvrage. M. de Malesherbes, avec sa bonté naturelle, se trouva alors dans la situation la plus pénible, obligé de réserver et de maintenir les droits de son père, de négocier avec le Parlement, qui n’en tint compte et lança son Arrêt, de