Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
48
CAUSERIES DU LUNDI.

la postérité l’air d’un observateur opiniâtre, et d’un martyr généreux de la science. En réalité, c’était plutôt un lettré, un érudit, admirant et étudiant la nature à travers les livres et les traités des autres, desquels il extrait et compile élégamment la substance et la fleur, et pas seulement la fleur, car il ne choisit pas toujours, et il agrée les erreurs tout autant que les vérités. Dans cet immense Digeste de la nature, dans cette Encyclopédie en trente-sept livres, le rédacteur et collecteur paraît remarquable avant tout et maître, en ce qu’un large souffle de talent et de grandeur y circule, en ce que la vigueur de sa plume ne faiblit nulle part, et ne se lasse pas d’exprimer tant de détails souvent fastidieux. Il les égaie par des anecdotes historiques piquantes ; il les orne au moins par la concision ; il les relève toutes les fois qu’il peut par des vues morales qui ont leur beauté, même lorsqu’elles touchent au lieu-commun, par un sentiment profond de l’immensité sacrée de la nature, et aussi par celui de la majesté romaine.

Après une préface sous forme de Lettre familière adressée à Titus, Lettre spirituelle, mais difficile à saisir en quelques parties, et qui n’est pas du même ton que le reste de l’ouvrage, Pline entre en matière. Le second livre (lequel est véritablement le premier, puisque la préface ne saurait compter pour un) traite du monde et des éléments. En laissant de côté la physique et les explications particulières, en ne s’attachant qu’à ce que j’appelle les idées, il est aisé de reconnaître dans Pline un philosophe, un esprit supérieur à la plupart des choses qu’il va enregistrer. À propos du soleil, âme de la nature, dont il trace un éclatant tableau, il en vient à parler de Dieu. Il pense « que c’est le fait de la faiblesse humaine que de chercher l’image et la forme de Dieu. » Métaphoriquement, on peut dire que le soleil est « le