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PLINE LE NATURALISTE.

maines, le regret de les voir négligées parfois et retardées par des intérêts subalternes, par des passions égoïstes et cupides. Au chapitre sur les météores et les principaux souffles des vents, il faut l’entendre parler des anciens observateurs grecs et de leur supériorité relative : « Mon étonnement est extrême, dit-il, quand je vois que dans le monde, autrefois si plein de discordes et divisé en royaumes comme en autant de membres, un aussi grand nombre d’hommes s’est livré à la recherche de choses si difficiles à trouver, et cela sans en être empêchés par les guerres, par les hospitalités infidèles, par les pirates ennemis de tous, et interceptant presque les passages ; et cela avec un tel succès, que, pour des lieux où ils ne sont jamais allés, on en apprend plus sur certains points, à l’aide de leurs livres, que par toutes les connaissances des habitants. De nos jours, au contraire, au sein d’une paix que fête l’univers, sous un prince qui se plaît tant à voir prospérer les choses de la nature et les arts, non-seulement on n’ajoute rien aux découvertes déjà faites, mais encore on ne se tient pas même au niveau des connaissances des anciens. Les récompenses n’étaient pas autrefois plus grandes, car la puissance souveraine était partagée entre plus de mains ; et pourtant beaucoup ont fouillé ces secrets de la nature, sans autre rémunération que la satisfaction d’être utiles à la postérité. Ce sont les mœurs qui ont déchu, et non les récompenses. » Cet éloquent regret revient en plus d’un endroit, bien qu’ailleurs il reconnaisse aussi les facilités et les bienfaits que l’on doit à cette unité pacifique de l’Empire. Mais c’est au luxe surtout, aux satisfactions de la table et de la mollesse, que toutes les activités dès lors étaient tournées. Savez-vous bien qu’on se moquait de Pline dans son temps, qu’on le raillait, lui amiral, général d’armée, de se livrer à ces recherches qui sem-