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Lundi 29 avril 1850.

MADAME DE LA TOUR-FRANQUEVILLE
ET
JEAN-JACQUES ROUSSEAU

On a publié en 1803 une Correspondance, jusque-là inédite, de Jean-Jacques Rousseau avec une dame du temps, femme d’esprit et de ses grandes admiratrices, Mme de La Tour-Franqueville. Cette Correspondance dans laquelle Rousseau n’entra qu’à son corps défendant, et où, du premier au dernier jour, chaque billet lui fut comme arraché, a pourtant cela de remarquable et d’intéressant, qu’elle est suivie, qu’elle forme un tout complet, qu’elle n’était pas destinée au public, qu’elle nous montre Jean-Jacques au naturel depuis le lendemain de la Nouvelle Héloïse jusqu’au moment où sa raison s’altéra irrémédiablement. On y peut étudier en abrégé le progrès croissant de ses bizarreries et de ses humeurs, entremêlées de retours pleins de grâce, et de rares mais charmants rayons. On y peut étudier en même temps le public, et, si je puis dire, les femmes de Rousseau, dans la personne de l’une des plus distinguées et certainement de la plus dévouée d’entre elles.

Tout grand poëte, tout grand romancier a son cor-