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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, III, 3e éd.djvu/30

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tout à cette fin. Ainsi plus tard, en écrivant, elle ne perdra aucune occasion de placer un précepte, une recette, soit de morale, soit de médecine.

Une telle vocation semblerait indiquer des goûts austères ; mais ici cette vocation sait très-bien se combiner avec des goûts romanesques, et c’est un trait encore et des plus essentiels dans le caractère de Mme de Genlis. Cette enfant, qui a commencé par lire Clélie, et qui s’en souviendra toujours, joue la comédie dès ses premières années, et tout désormais dans son imagination, même l’enseignement, prendra volontiers cette forme de comédie et de théâtre. La mère de Mme de Genlis, qui faisait tant bien que mal des vers (toute cette famille avait pour premier don la facilité), avait composé un opéra-comique qu’on joua à Saint-Aubin, et dans lequel la jeune comtesse de Lancy (la future Genlis) eut le rôle de l’Amour :

« Je n’oublierai jamais, dit-elle, que dans le Prologue mon habit d’Amour était couleur de rose, recouvert de dentelle de point parsemée de petites fleurs artificielles de toutes couleurs ; il ne me venait que jusqu’aux genoux ; j’avais des petites bottines couleur de paille et argent, mes longs cheveux abattus et des ailes bleues. »

Elle joua si bien, elle réussit tant, qu’on lui laissa pendant des mois ce costume d’Amour. C’est dans cet attirail (arc, carquois, ailes) qu’elle allait se promener dans la campagne. Le dimanche seulement, pour aller à l’église, on lui retirait les ailes. Ainsi elle était dans le factice et le faux les jours ouvrables comme les dimanches. Elle s’y accoutuma dès lors à romancer toute chose et à n’aller au vrai de rien. Plus tard, ayant joué un rôle d’homme dans un drame de La Chaussée, elle quitta l’habit d’Amour, mais parce qu’on lui fit faire un charmant habit d’homme qu’elle ne quitta plus qu’à son