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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, III, 3e éd.djvu/45

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les finesses, les adresses et les grâces de la société.

On voit d’après cet ensemble qu’avec beaucoup d’esprit et de talent, elle n’était nullement une femme supérieure. Son originalité la plus réelle consistait en cette vocation et cette verve de pédagogie poussée jusqu’à la manie, qui lui valut tant d’épigrammes, mais qui du moins faisait qu’elle ne ressemblait à nulle autre. Chénier, dans sa jolie satire les Nouveaux Saints, a pu la railler sur cette disposition de maîtresse d’école, et la cribler de ses traits les plus perçants et les plus acérés :

J’arrive d’Altona pour vous apprendre à lire ;

et tout ce qui suit. C’est toutefois par ce côté uniquement que Mme de Genlis a chance de vivre. Le désaccord qu’on s’est plu à noter entre sa conduite et les principes affichés dans ses écrits ne fait que mieux ressortir peut-être ce que ce talent d’instituteur avait en elle de naturel, de primitif et, si j’ose dire, de sincère. Il y avait comme plusieurs personnes en Mme de Genlis ; mais, dès qu’elle tenait la plume, le ton de la personne intérieure et qui dominait toutes les autres, le ton du rôle principal prenait le dessus, et elle ne pouvait s’empêcher d’écrire ce qu’il faut toujours répéter de la religion, des principes et des mœurs quand on enseigne. Il en résulte que la pruderie, sous sa plume, était moins hypocrite qu’on ne le croirait. C’est ainsi que je l’explique. Le goût d’enseigner ne doit point se considérer chez elle comme un travers, c’était le fond même et la direction de sa nature. Il est dommage seulement que, femme d’esprit comme elle était, et femme à principes comme elle voulait être, elle n’ait pas su concilier cette vocation déclarée avec le tact des convenances, le sentiment du ridicule, et de plus avec la droiture et la simplicité des pensées. Vous voyez bien qu’en parlant d’elle je l’imite, et que je lui fais ma petite morale aussi, en finissant.