Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, IV, 1852.djvu/271

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

MARIE-ANTOINETTE. 265 nez d’aigle et ce port de reine, lui imprima le cachet de sa race; mais ce caractère impérial, qui reparaissait aux grands moments, n’était pas celui de l’habitude de son esprit, de son éducation et de son rêve ; elle ne se retrouvait la fille des Césars que par saillies. Elle était faite pour être l’héritière paisible et un peu bergère de l’Empire, plutôt que pour reconquérir ellemême son royaume ; avant tout, sous ce front auguste, elle était faite pour être femme aimable, amie constante et fidèle, mère tendre et dévouée. Elle avait toutes les qualités et les grâces, et quelques-unes aussi des faiblesses de la femme. L’adversité lui rendit des vertus; l’élévation du cœur et la dignité du caractère se dessinèrent avec d’autant plus d’éclat qu’elles n’étaient point portées par un esprit tout à fait à la hauteur des circonstances. Telle qu’elle est, victime de la plus odieuse et de la plus brutale des immolations, exemple de la plus épouvantable des vicissitudes, elle n’a point besoin que le culte des vieilles races subsiste pour soulever un sentiment de sympathie et de pitié délicate chez tous ceux qui liront le récit et de ses brillantes années et de ses dernières tortures. Tout homme qui aura dans le cœur quelque chose de la générosité d’un Barnave, éprouvera la même impression et, s’il faut le dire, la même conversion que lui, en approchant de cette noble figure si outragée. Quant aux femmes, Mme  de Staël leur a dès longtemps adressé le mot qui peut leur aller le plus au cœur, quand elle a dit dans la Défense qu’elle a donnée de Marie-Antoinette : « Je reviens à vous, femmes immolées toutes dans une mère si tendre, immolées toutes par l’attentat qui serait commis sur la faiblesse...; c’en est fait de votre empire si la férocité règne. » Marie-Antoinette est mère encore plus que reine en effet. On sait ce premier mot qui lui échappa lorsque, n’étant que dauphine, on blâmait devant elle une femme qui, pour obtenir le pardon de son fils compromis dans un duel, s’était adressée à Mme  Du Barry elle-même : « A sa place, j’en aurais fait autant, et, s’il l’avait fallu, je me serais jetée même aux pieds de Zamore » (le petit nègre de Mme  Du Barry). Et l’on sait aussi ce dernier mot de Marie-Antoinette devant l’atroce tribunal, lorsque, interrogée sur d’affreuses imputations qui touchaient à l’innocence de son fils, elle s’écria pour toute réponse : « J’en appelle à toutes les mères! « C’est là le cri su-