Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, Table, éd. Pierrot.djvu/15

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MADAME TASTU Le plus bel éloge, ou plutôt la plus juste définition de madame Tastu a été donnée par sa rivale et sa sœur en poésie, madame Desbordes-Valmore : « Madame Tastu , modèle des femmes... C’est une âme pure et distinguée, qui lutte avec une tristesse paisible contre sa laborieuse destinée. Son talent est comme sa vertu, sans une tache... Je l’aime ; je la trouve souffrante et jamais moins courageuse. Douce femme que je voudrais oser nommer sœur ! » Mais ce que madame Desbordes-Valmore écrivait là, à la date de 1837, quand l’époque heureuse et riante de la destinée de madame Tastu était loin déjà, et que la triste réalité remplaçait pour elle la poésie, ne reste vrai de ses commencements que pour la pureté du trait moral, et si l’on veut la voir à son entrée dans la vie, ou même durant toute sa première jeunesse, il faut se hâter d’éclairer le portrait et d’adoucir les teintes. Née à Metz avant la fin du dernier siècle (1798), fille de M. Voïart, administrateur général des vivres, et de mademoiselle Boucholte, sœur du ministre de la guerre sous la République, la jeune Amable fut nourrie au sein de cette bourgoisie illustrée par la Révolution, et elle y puisa les sentiments patriotiques que les invasions de 1814 et de 1815 ravivèrent à un si liant degré dans les âmes saines et franches. Son père faisait des vers avec facililé; mais sa mère, dit-on, était une personne de mérite, d’un sens judicieux, ferme, de ces femmes