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M. RIGAULT.

qu’il a considéré à un point de vue assez particulier, non plus comme moraliste ou satirique, mais comme critique littéraire. Dans la thèse française, qui est devenue la principale et pour laquelle il avait réservé ses plus grandes forces, M. Rigault s’est donné un plus ample sujet, la Querelle des Anciens et des Modernes, qui occupa tant les esprits dans la seconde moitié du dix-septième siècle et au commencement du dix-huitième, et qui sous des formes diverses s’est renouvelée depuis ; querelle aussi vieille que le monde, depuis que le monde n’est plus un enfant, et qui durera aussi longtemps que lui, tant qu’il ne se croira pas tout à fait un vieillard. Lequel vaut mieux du passé ou du présent, — du passé ou de l’avenir ? Lesquels valent mieux de nos pères ou de nous ? Moralement on est tenté de dire de soi et de son temps bien du mal, mais pour l’esprit on ne prétend pas céder, et on a toutes sortes de bonnes raisons pour se prouver à soi-même qu’on en a un peu plus que ses devanciers. « Je suis fier pour mon temps, je suis fier pour mon siècle, mon pays… » Combien de fois n’avons-nous pas entendu ce langage, essentiellement moderne, dans la bouche de ceux même qui savaient et prisaient le mieux l’Antiquité I L’orgueil de la vie enivre aisément les vivants, surtout s’ils se comparent à ceux qui ne sont plus : c’est déjà une telle supériorité que celle de vivre ! Chaque génération à son tour est au haut de l’arbre, voit tout le pays au-dessous, et n’a que le ciel au-dessus d’elle. Elle se croit la première, et elle l’est à son heure un moment. — Le sujet de thèse traité par M. Rigault, même en le renfermant dans les termes de la seule littérature, est un des plus heureux et des plus féconds que l’on put choisir, et son travail est devenu un livre qui offre le tableau complet d’un des épisodes les plus curieux de l’histoire de l’esprit. Ce livre, dans sa forme actuelle où il n’y a plus marque