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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, XIII, 3e éd.djvu/149

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M. RIGAULT.

— Je les suis, se répond-il, mais je m’accorde à moi-même de trouver à mon tour du nouveau, et de changer et de laisser ce qui n’est point à ma guise. Même en les suivant, je ne leur obéis point, j’opine comme eux. »

II y avait, à côté de ces libres esprits, ouverts dès lors à toutes les perspectives, d’humbles adorateurs et des sectateurs exemplaires du passé. Sénèque parle quelque part, dans ces mêmes lettres à Lucilius où on lit ces beaux passages, d’un jeune homme qui était si modeste et si classique en son temps, que s’il avait cru en composant écrire quelque chose qui surpassât les Anciens ou les devanciers, il se serait retenu, de peur de commettre une sorte de sacrilège. Le Dialogue des Orateurs a mis en présence et nous montre aux prises les champions des deux doctrines, les classiques et les novateurs de l’Antiquité. M. Rigault a tiré bon parti de ces exactes ressemblances et de cette espèce de miroir où son sujet se dessine à l’avance et se réfléchit. Aussi il me semble, pour dire toute ma pensée, que si, après ces frappants exemples de Sénèque, de Pline, du Dialogue des Orateurs, il était arrivé plus vite à Bacon, à Descartes, à Pascal, à ces grands textes modernes qui dominent la question et qui sont comme le péristyle de son sujet, la façade se serait dégagée aux yeux avec plus d’avantage, tandis que chez lui on a un peu l’inconvénient du portail de Saint-Gervais avant qu’on y eût abattu les maisons et élargi la place. En un mot, il y a un peu trop de choses, trop de noms (bien que le mi « n n’ait pas à s’en plaindre) dans ces chapitres que je considère comme préliminaires. Que voulez-vous ? c’est la richesse d’un vif et fertile esprit dans un premier ouvrage où l’on ne veut rien sacrifier.

Ma critique générale se réduit à peu près à ceci, que M. Rigault a conçu son travail à un point de vue plus étendu que je ne l’aurais fait moi-même : j’en aurais