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CAUSERIES DU LUNDI.

L’abbé de Pons concède le latin, « il n’approuverait pas qu’on le laissât ignorer à un galant homme ; mais les premières années de la vie lui paraissent trop précieuses pour devoir être sacrifiées à cet objet. » Ce n’est donc que quand le cours complet d’études tire sur sa fin, et que l’élève a appris ou passé en revue l’histoire, le théâtre et la littérature nationale, certains arts mécaniques, la logique, la physique, même la métaphysique, que le précepteur se dit :

« Mon disciple parle excellemment sa langue naturelle ; sa mémoire est ornée de tous nos meilleurs ouvrages, soit de prose, soit de poésie : cela est bon, mais cela ne lui suffit pas, nous allons apprendre la langue latine. J’ose assurer que nous ferons plus de progrès dans une année, que l’on n’en fait pour l’ordinaire dans tout le long cours des humanités. »

L’abbé de Pons ne songe même pas aux langues étrangères vivantes, et il en laisse passer le vrai moment : il n’a jamais observé l’enfant à cet âge où il aime à répéter tous les sons, et où tous les ramages ne demandent qu’à se poser sur ses lèvres et à entrer sans effort dans sa jeune mémoire.

Si incomplètes que j’aie montré en bien des points les vues de l’abbé de Pons, du moins ce sont des vues, ce sont des idées ; on sent toujours avec lui l’homme qui pense et qui fait penser. On a même très-bien l’aperçu de ce que pouvait être sa conversation. En un endroit, à propos d’un passage d’Horace (pallida Mors œquo puisat pede…), il raille le plus joliment du monde les traducteurs de son temps, les oppose les uns aux autres, leur soutient qu’ils ne sont jamais bien sûrs de saisir la nuance exacte et vraie de ce qu’ils admirent si fort chez les Anciens, et conclut qu’ils ne font le plus souvent que la soupçonner et la deviner. D’avance il dit presque les mêmes choses que M. Rigault a eu raison de louer (page 470) en les entendant redites de nos