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Page:Sainte-Beuve - Notice sur M. Littré, 1863.djvu/20

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notice

appartient bien à une âme retirée et tranquille comme celle du poëte romain. Une vie entière d’étude, accompagnée de lumière et de poésie, l’avait porté dans les pures et paisibles régions de l’intelligence ; mais jamais on ne sent mieux la vérité des mots qui lui sont attribués, que lorsqu’on touche à ces questions qui nous lancent dans la double immensité du temps et de l’espace. Il y a dans la petitesse de l’homme, dans la petitesse de sa terre, dans la brièveté de sa vie, quelque chose qui contraste singulièrement avec les énormes distances qu’il soupçonne, et les vastes intervalles de temps qu’il suppute et qu’il retrouve dans les ombres du passé. Grâce à ceux qui, comme dit Childe-Harold, ont rendu légers nos travaux mortels, une certaine lumière a commencé à poindre. La science est le flambeau qui vient éclairer un lieu obscur ; et tout entraîné qu’on est par le tourbillon de la terre et de la vie, c’est quelque chose que de pouvoir jeter un grave et long regard sur ces ténèbres et cet abîme. »

Nourri des fortes lectures et abreuvé aux hautes sources des poëtes, M. Littré a un côté de lui-même qu’il n’a jamais laissé qu’entrevoir et qui est celui d’une poésie philosophique à laquelle, m’a-t-on assuré, il excelle. On m’a parlé d’une ode sur la Lumière, dans laquelle, pénétré de toutes les théories optiques modernes et imbu des grandes paroles pittoresques des maîtres primitifs, il s’est élevé à une belle inspiration de science et de poésie. Je voudrais la lui arracher et j’en désespère[1].

  1. J’avais tort de désespérer ; ces Stances désirées m’arrivent à l’instant, avec quelques autres pièces de vers, de la jeunesse de