Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Notice sur M. Littré, 1863.djvu/32

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
26
notice

avec trop d’imprudence à des études d’anatomie : comme Bichat, il mourut des suites de cette sorte d’empoisonnement cadavérique. La douleur de M. Littré, à chacune de ces pertes de famille, ne peut se rendre à la mort de son frère, plus tard à la mort de sa mère, on me le dépeint fixe, immobile, la tête baissée près du foyer, dans une sorte de stupeur muette, restant des mois entiers sans travailler, sans toucher une plume ni un livre, et comme mort à tout. Ces âmes intègres et entières ont des sensibilités plus entières aussi ; elles ont, à leur manière, des religions de famille, et, quand le destin les frappe, elles reçoivent le coup en plein, sans subterfuge, sans consolation.

Des amis essayèrent de le tirer de cet état sombre. Une place était vacante à l’Institut, à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres ; Eugène Burnouf vint trouver M. Littré et lui dit à brûle-pourpoint : « Il faut que tu te présentes. » Littré résista, et même violemment. La difficulté était bien plus en lui que du côté de l’Académie. Le vieux et respectable Burnouf père fut mis alors en mouvement et vint le presser à son tour. Littré résista encore, avec moins de vivacité cependant. Mais ce fut sa mère seule qui, en dernier lieu et après un double assaut, l’emporta, comme la mère de Coriolan. Le voilà donc sur les rangs, en tournée de visites, de concert avec M. Barthélemy Saint-Hilaire, qui ne le lâchait pas, et qui faisait de ce succès de son ami comme un triomphe personnel. On se trompait parfois à les voir arriver tous deux, et l’on ne savait lequel précisément se présentait aux suffrages : « Non, ce n’est pas Aristote