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NOUVEAUX LUNDIS.

tradition ; elle avait varié la romance, attendri et féminisé l’élégie, modulé sur un ton suave le tendre aveu et la plainte d’un cœur qui s’abandonne. Mme Sophie Gay écrivait d’elle en octobre 1820, après avoir cité quelques-uns de ses vers : « Peut-on mieux peindre le charme de cette mélancolie que M. de Ségur appelait volupté du malheur ? » Et elle lui promettait une place au Temple du Goût à côté de Mme Des Houlières[1]. M. Creuzé de Lesser, un auteur croisé d’administrateur, et qui n’était pas sans mérite, lui écrivait de Montpellier (1er décembre 1827) :

« … Il y a longtemps, madame, que j’ai, — que j’ai lu — et que j’aime ce que vous avez publié. De toutes les femmes qui écrivent, vous êtes incontestablement aujourd’hui celle qui a le plus de sensibilité et de grâce. Les réputations des femmes sont quelquefois sujettes à un peu d’exagération, el c’est ce que je me disais involontairement, il y a quelque temps, en lisant les Poésies de Mme Dufrénoy, qui a fait de très-jolies choses ; mais qui en a fait trop peu, au moins pour le nom qu’on lui a voulu donner. Votre réputation, madame, est de meilleur aloi : vous vous élevez davantage et plus souvent ; vous avez de ces choses exquises qui sont à côté de tout, et vous savez revêtir d’une poésie dorée des élans de cœur qu’il est impossible d’oublier. Il y a de l’esprit de reste en France, mais la vraie sensibilité y est beaucoup plus rare ; et c’est là un de vos domaines. Que je suis heureux de pouvoir être si franc en étant si poli !… »

Et il mêlait à ses éloges quelques réserves pour certains défauts de distraction ou de négligence. Tel était alors le suffrage des bons esprits classiques, et je n’en

  1. Article de la Revue encyclopédique.