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tiel à l’idée qu’on avait pu se faire d’elle, mais elles contribueront à développer l’aimable portrait, ce modèle de belle âme religieuse et poétique, et à le mettre de plus en plus dans tout son jour. Pour renouveler moi-même l’étude, il m’est venu la pensée de ne plus prendre seulement Eugénie de Guérin en elle-même, mais de la comparer : comparer, c’est mieux marquer les contours, c’est achever de définir. Un critique très-distingué de ce temps l’a fait déjà : Camille Selden (un pseudonyme et une femme) a donné dans un volume qui se publie en ce moment[1] une analyse exacte et forte de trois femmes, à peu près contemporaines : — une Française catholique, Eugénie de Guérin précisément ; — une Anglaise et protestante, Charlotte Brontë, auteur du beau et douloureux roman de Jane Eyre ; — une Allemande et juive convertie, la célèbre Rahel de Berlin, Mme de Varnhagen. Ces trois existences si diverses, successivement racontées et finement décrites, donnent beaucoup à penser et à réfléchir sur la forme que revêtent l’esprit et le cœur en trois pays et trois sociétés si dissemblables, sur les directions que parvient à se frayer la spontanéité humaine à travers des contraintes et des pressions si différentes. Mais pour moi, et dans le genre de cadre plus resserré que j’aime, ces contrastes sont déjà trop lointains, et j’en veux prendre un plus à notre portée. Je le trouve dans une personne qui, sans être Française de nation,

  1. L’Esprit des Femmes de notre temps, par Camille Selden, auteur du roman de Daniel Vlady ; un vol. in-18, bibliothèque Charpentier.