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APPENDICE.

« Comme cette affaire qui avoit été commise aux soins de M. Singlin et aux siens étoit d’une extrême conséquence, on jugea à propos d’en faire part à des personnes sages et liées d’amitié particulière avec M. et madame de Chavigny, non-seulement pour prévenir le reproche que et tte dame eût pu faire qu’on avoit dessein de lui celer une chose dans laquelle elle avoit un si notable intérêt et lui ôter l’occasion de dire que l’on n’avouoit le dépôt de ces papiers que parce qu’elle l’avoit deviné ou en étoit avertie d’ailleurs, mais aussi pour la tirer de l’inquiétude où elle auroit pu se trouver, si elle les eût cherchés avant que d’avoir reçu cet avis, et pour prévenir les soupçons qu’elle auroit pu avoir qu’ils ne lui eussent été soustraits par quelques-uns de ses domestiques.
« Ils crurent que madame du Plessis-Guénegaud avoit toutes les qualités nécessaires pour lui pouvoir communiquer ce secret. On lui en parla dès l’onzième jour d’octobre, qui étoit celui de la mort de M. de Chavigny ; et elle indiqua M. Goulas, secrétaire des commandements de S. A. R., comme celui qui avoit plus d’avantages pour en parler utilement à la veuve. M. Goulas, ayant vu le lendemain 12 tous les papiers déposés l’un après l’autre, s’excusa quelque temps de la prière qu’on lui faisoit d’en porter parole à la veuve, ne voulant pas du moins s’y engager à moins qu’on ne lui donnât la liberté de promettre qu’on la traiteroit à l’amiable et qu’on lui feroit bonne composition. Il lui fut répondu qu’on n’avoit pas la liberté de disposer du bien des pauvres et de violer la loi du dépôt qui ne recevoit ni extension ni restriction. Enfin, après plusieurs propositions faites de part et d’autre, on convint qu’on lui pouvoit dire que l’on feroit généralement tout ce que la conscience pourroit permettre pour la satisfaction de cette dame. Il se chargea à ces conditions de la voir, et il y ajouta encore que ce seroit à la charge que si l’affaire se portoit en justice, on ne désireroit de lui aucun témoignage. À quoi il lui fut répondu qu’on ne lui demanderoit jamais rien contre son gré, mais qu’on le croyoit assez raisonnable pour ne pas refuser de déclarer, pour la décharge des dépositaires, en cas qu’ils en eussent besoin, qu’on lui avoit fait voir et lire ces papiers avec prière d’avertir la veuve qu’ils étoient en sûreté, ce qu’il promit. Et ayant vu cette dame dans le temps même qu’on enterroit son mari, il rapporta qu’il l’avoit trouvée fort émue, très-déraisonnable et peu délicate sur le point de la conscience ; qu’il estimoit cette affaire être de grande conséquence pour la mémoire du défunt ; mais, comme il ne la jugeoit pas moins importante à la réputation des dépositaires et particulièrement à l’estime de la conduite de Port-Royal, il prioit qu’on avisât à tous les tempéraments qu’on pourroit prendre pour l’assoupir sans éclat avec la satisfaction commune de toutes les personnes intéressées, offrant de son côté d’y servir de tout son pouvoir.
« Le 3 du même mois, W. Singlin en ayant conféré avec M. Du Hamel, ce curé de Saint-Merry lui dit qu’il craignoit que l’événement de cette affaire ne fût pas favorable en justice, mais qu’il pensoit qu’on étoit obligé de la soutenir, en cas que les gens de justice la jugeassent au moins problématique.
« Ayant aussi consulté M. de Morangis, conseiller d’État, son jugement fut qu’on la perdroit en justice, et (il) cota l’exemple de messire René Potier, évêque de Beauvais, lequel ayant donné par un testament en très-bonne forme tout son bien aux prêtres de l’Oratoire, parce, disoit-il, qu’il avoit fait un mauvais usage du bien de l’Église, ce testament fut cassé par arrêt. Et sur l’ouverture qu’on lui fit de remettre les papiers dont il étoit