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LIVRE DEUXIÈME.

ses filles, une jeune enfant, pensionnaire au monastère des Champs, lors de l’expulsion de 1679. Le franc-parler généreux de la comtesse pour tous ses amis en disgrâce, que ce fussent Port-Royal ou Fénelon, peut lui faire pardonner les qualités moins chrétiennes que madame de Caylus et d’autres lui ont reprochées. Quand le comte de Grammont, à la fin, se convertit,[1] l’exemple qu’il avait reçu d’elle y dut être pour beaucoup ; de sorte que, jusque dans cette conversion si lointaine du héros d’Hamilton, nous retrouvons avec un peu de bonne volonté le petit doigt de Port-Royal.

Des élèves comme mademoiselle Hamilton d’une part, comme MM. Bignon de l’autre, n’assortissent pas mal, ce semble, dans leur diversité de nuance, la couronne (ne fût-ce qu’humaine et mondaine) de la maison d’où ils sortirent.

Mais tout ceci est pour dire que Louis XIV, un jour, se ressouvenant sans doute que la comtesse de Grammont avait été élevée à Port-Royal, ou peut-être le prenant sur ce que le comte, avant d’être chevalier, avait été abbé un instant dans sa jeunesse, le chargea, lui l’homme aimable et léger, pour le lutiner en qualité de favori, de lire le livre de Jansénius et de s’assurer s’il n’y trouverait pas les cinq Propositions tant disputées. Quand le comte de Grammont lui rendit compte de sa lecture qu’on croira, si l’on veut, qu’il avait faite, ce fut en disant « que, si les cinq Propositions étoient dans Jansénius, il falloit qu’elles y fussent bien incognito. » Ce mot d’incognito étant encore assez neuf alors[2], cela parut un excellent bon mot qui courut et qu’on a transmis.

  1. « J’ai appris avec beaucoup de plaisir que M. le comte de Grammont a recouvré sa première santé et acquis une nouvelle dévotion… » (Lettre de Saint Évremond à Ninon de Lenclos, 1696.)
  2. On l’a rencontré déjà dans une lettre de Balzac, à la page 70 de ce volume.