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PORT-ROYAL.

libre arbitre et son esclavage, ni la prédestination et son effet ; ni la crainte, ni l’amour de Dieu, ni sa justice, ni sa miséricorde ; enfin, ni l’Ancien ni le Nouveau Testament ; — qu’ils semblent, dis-je, ne plus rien comprendre à toutes ces choses, mais bien plutôt, à force de raisonnements, avoir fait de la théologie morale une Babel pour la confusion, et pour l’obscurité une région cimmérienne. » — (Et il ajoute aussitôt) : « Tout lecteur modéré pensera que je jette ces paroles témérairement ou par hyperbole ; mais on le verra successivement et par le détail, à mesure que, Dieu aidant, je développerai les principes de saint Augustin, je n’en ai peut-être pas assez dit. »

Après de telles paroles, on fait plus qu’entrevoir toute l’étendue de la réforme, de la révolution que le Jansénisme primitif médita et voulut. Il nous sera plus aisé dès lors d’apprécier la façon secondaire et moindre selon laquelle on défendit par la suite et on pallia les mêmes questions dans Port-Royal depuis la mort de M. de Saint-Cyran. Lancelot, qui est de la génération la plus directe des fondateurs, et de qui l’on a déjà entendu de modestes plaintes,[1] a écrit, au sujet des contestations soulevées par le livre de Jansénius, cette page de mémorable aveu :

« Peut-être aussi que la manière dont on a agi pour défendre la Vérité n’a pas été assez pure, et que les moyens qu’on y a employés ont été ou trop précipités, ou trop peu concertés, ou même trop humains.… L’on gâte quelquefois plus les affaires de Dieu en se remuant trop qu’en demeurant en un humble repos.… L’on peut aussi ajouter que l’on n’est pas même demeuré dans les termes marqués par M. de Saint-Cyran en se contentant (comme il le vouloit) de faire voir que la doctrine que l’on suivoit n’étoit pas de M. d’Ypres, mais de saint Augustin : on a cru qu’il étoit plus sûr de se jeter dans la distinction du droit et du fait pour laquelle on

  1. Au tome I de cette histoire, livre II, chapitre IV, p. 436.