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LIVRE DEUXIÈME.

faire ou ne pas faire. Or quelle conclusion pratique tirera-t-on de ces propositions : « Que toute grâce est efficace et a toujours infailliblement son effet, et que toutes les actions des Infidèles et des autres pécheurs sont des péchés ? » En conclura-t-on qu’il faut attendre que la Grâce nous fasse agir, sans faire de notre part aucun effort, même pour la demander, et qu’il faut désespérer de la conversion des pécheurs ? Aucun Janséniste n’osera l’avouer. Qu’est-ce donc que ces questions, sinon des spéculations vaines, comme tant d’autres dont les écoles sont occupées depuis cinq cents ans ? et non-seulement vaines, mais pernicieuses par leurs effets, disputes, contestations, injures, calomnies, haines mortelles ?[1]

  1. Nouveaux Opuscules de l’abbé Fleury (Paris, 1807, in-12). — Fleury, dans sa restriction, va un peu loin ; la morale n’est pas tellement séparable de l’idée, et celle-ci ne reste pas toute spéculative : à la seconde génération une idée semi-pélagienne engendre une morale philosophique. Mais, en même temps, il a raison selon le sens commun et dans les termes d’alentour. Chez Fleury, les contradictions sont, pour ainsi dire, juxta-posées ; pour peu qu’on les remue, elles s’entre-choquent ; mais il ne les remuait pas. Fleury me représente tout à fait l’inconséquence prudente des Gallicans, dans sa vue nette, fine, douce, mais peu longue et faible à un certain point. Dès l’origine jusqu’à la fin, le Jansénisme fut ainsi côtoyé par le Gallicanisme, le traversant quelquefois, mais sans s’y confondre. Dès le temps du Petrus Aurelius, François Hallier soutenait la même cause, celle des évêques, la défense de la Faculté de Théologie de Paris contre les Jésuites et contre toute prétention monastique ultramontaine. Et pourtant François Hallier, syndic de la Faculté après Nicolas Cornet, conspira autant que lui à la condamnation des cinq Propositions, qu’il alla même poursuivre à Rome au nom d’une portion des évêques. Il en revint avec toutes sortes de promesses et mourut évêque de Cavaillon. Fleury, vers la fin du siècle, plus désintéressé, très vif pour les libertés gallicanes, et dont le Discours sur ces libertés fut mis à l’index à Rome, Fleury, on le voit, n’était pas plus janséniste que Hallier. Toute la théorie gallicane porte sur deux maximes, selon MM. Du Puy frères (Traité des Libertés de l’Église gallicane) : la première est « que les Papes ne peuvent rien commander ni ordonner, soit en général ou en particulier, de ce qui concerne les choses temporelles ès pays et terres de l’obéissance et souveraineté du Roi très-chrétien, et, s’ils y commandent ou statuent quelque chose, les sujets du Roi, encore qu’ils fussent clercs, ne sont tenus leur obéir pour ce regard. » La seconde maxime est « qu’en-